Extinctions de Masse ou Crises Biologiques
Dans cette page :
- Qu’est-ce qu’une extinction de masse ou crise biologique ?
- Les difficultés à caractériser les crises biologiques
- L’intérêt de l’étude des crises biologiques
- Les causes des crises biologiques
- Les crises biologiques peuvent-elles présenter un intérêt en termes d’évolution ?
- Références
Qu’est-ce qu’une extinction de masse ou crise biologique ?
Selon Sepkoski en 1986 (p. 278) : Mass extinctions are defined as « any substantial increase in the amount of extinction (lineage termination) suffered by more than one geographically wide-spread higher taxon during a relatively short interval of geologic time, resulting in an at least temporary decline in their standing diversity ».
Une extinction de masse, appelée également crise biologique, est un évènement qui conduit à la disparition de nombreuses espèces, pendant une durée relativement courte à l’échelle géologique (de l’ordre de la centaine de milliers d’années, voire du million d’années) et sur une large aire géographique.
Les crises les plus importantes concernent l’ensemble de la Terre, à la fois en domaine marin et continental, et affectent un grand nombre d’espèces, et pas seulement un groupe en particulier. Le Phanérozoïque a été marqué par la survenue de nombreuses crises biologiques, et parmi elles de cinq crises 'majeures' (ce sont les ‘Big Five’ des auteurs anglophones) :
Evolution de la biodiversité en nombre de familles pour les invertébrés marins, les insectes et les tétrapodes non-marins au cours du Phanérozoïque et à la fin du Précambrien (d’après Benton, 2001). Les cinq extinctions 'majeures' sont indiquées par les flèches.
Les extinctions de masse au cours des derniers 600 millions d’années (d’après Benton et Harper, 2009). Précisions sur la figure : l'extinction majeure (une seule, la crise Permien / Trias) a entraîné la disparition d’environ 50 % des familles et 95 % des espèces, les extinctions intermédiaires (4 évènements) sont des évènements de portée globale, entraînant la disparition d’environ 20 % des familles et 75-85 % des espèces et les extinctions mineures sont responsables de la disparition de 10 % des familles et jusqu’à 50 % des espèces. Certaines ont eu un impact seulement régional, ou n’affectent qu’un nombre limité de taxons ou une niche écologique particulière.[cliquez sur l'image pour agrandir]
Pour chacune de ces crises, de nombreuses études scientifiques ont essayé de quantifier les taux d’extinction pour les différents organismes affectés (les chiffres fournis sont évidemment indicatifs et régulièrement révisés) :
Pourcentage de taxons marins touchés lors des cinq crises biologiques les plus importantes. (les chiffres sont tirés de Jablonski, 1995 pour les espèces et du site d’information sur les Crises pour les autres rangs).
L’étude de ces chiffres permet de constater que la plus grave crise biologique de tous les temps est la crise Permien/Trias, qui marque la fin du Paléozoïque.
Les organismes affectés lors des crises sont nombreux, et certains groupes ont totalement disparus :
Groupes animaux ayant subi des taux d’extinction significatifs au cours des cinq plus grandes extinctions de masse (d’après Benton, 1986). († : groupe complètement disparu)
Les difficultés à caractériser les crises biologiques
L’étude des crises biologiques est bien entendue dépendante de la qualité des archives fossiles. La fossilisation étant un processus extrêmement rare et difficile, les interprétations tirées de l’étude des fossiles sont forcément biaisées.
On sait par exemple que la fossilisation est beaucoup plus facile dans certains milieux (milieux terrestres vs milieux marins), pour les organismes de petite taille et pour ceux possédant une partie dure. La découverte par exemple d’organismes à corps mou est exceptionnelle.
Les problèmes d’interprétation peuvent également être liés à la qualité des études ou encore à la densité des recherches effectuées (certaines zones sont encore inexplorées alors que d’autres ont été très largement étudiées comme en Europe ou en Amérique du Nord).
L’absence d’un fossile ou d’un groupe de fossiles dans une couche donnée peut ainsi être interprétée de différentes façons :
- Il peut s’agir d’une véritable extinction, et dans ce cas c’est peut-être l’indice de la survenue d’une crise biologique
- Il peut s’agir d’un problème de fossilisation (les fossiles n’ont pas été préservés car les conditions n’étaient pas bonnes)
- Les couches fossilifères ont pu être érodées, ou bien il s’agit d’une lacune stratigraphique (non-dépôt)
- Il peut s’agir d’un problème d’échantillonnage …
Les difficultés sont donc nombreuses, ce qui explique une grande variabilité dans les interprétations et dans les chiffres fournis par les différentes études quant aux pourcentages d’extinction par exemple.
L’intérêt de l’étude des crises biologiques
Depuis longtemps, des scientifiques ont remarqué que la biodiversité n’évoluait pas de façon régulière au cours des temps géologiques, et que certains organismes semblaient avoir disparus. En étudiant les grands mammifères terrestres des terrains cénozoïques dans le bassin parisien, le naturaliste français Cuvier (1769 – 1832) fut l’un des premiers à prouver la réalité des extinctions. Par la suite, le géologue britannique Philipps (1800 – 1874) a mis en évidence des changements majeurs dans les faunes fossiles dans les niveaux marquant la fin du Paléozoïque et du Mésozoïque.
C’est seulement dans la deuxième partie du XXème siècle que l’intérêt porté à ces extinctions s’est réellement accru, avec notamment les études de Sepkoski et Raup sur le Phanérozoïque (Raup & Sepkoski, 1982 ; Raup & Sepkoski, 1984 ; etc). Par la suite, de nombreux chercheurs se sont intéressés à ces extinctions de masse et ont caractérisé un certain nombre d’évènements ayant marqué de façon durable la biosphère, et notamment les cinq crises majeures.
L’intérêt porté à ces crises s’est donc considérablement accru au cours de ces dernières décennies, et en conséquence le nombre d’étude et d’ouvrages scientifiques traitant de ce sujet est très important (parmi les ouvrages intéressants : Benton, 2003 ; Courtillot, 1999 ; Taylor, 2004 …).
Pourquoi un tel intérêt pour ces évènements ? Tout d’abord, leur compréhension nous donne des informations sur l’histoire de la Vie sur la Terre, ce qui peut permettre également d’envisager notre futur (de tels phénomènes peuvent-ils se reproduire ?). L’étude des crises biologiques présente également un intérêt en stratigraphie, puisqu’elles ont été utilisées pour délimiter les grandes unités de l’échelle stratigraphique, d’où l’importance de les délimiter le plus précisément possible.
Les causes des crises biologiques
Il faut d’abord signaler que la détermination précise des causes d’un évènement ayant eu lieu il y a plusieurs millions d’années est particulièrement difficile ! En premier lieu, il faut s’assurer que la cause supposée a bien lieu avant la crise biologique (il faut donc des datations particulièrement précises…) et que ses conséquences peuvent réellement apporter une explication plausible à l’extinction observée.
Parmi les causes possibles, on peut citer :
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Les impacts de météorites
Dans les années 1980, les scientifiques ont découvert que les couches de la limite Crétacé / Tertiaire (la fin du Mésozoïque) étaient particulièrement riches en iridium, un élément chimique rare sur la Terre mais abondant dans certaines métérorites. La découverte par la suite du cratère météoritique de Chicxulub au Mexique (Alvarez et al., 1980) a permis à certains scientifiques de suspecter que cet impact était la cause ou l’une des causes à l'origine de l’extinction de la fin du Crétacé. Depuis, de nombreux chercheurs se sont intéressés à cet évènement, sans réussir cependant à déterminer s’il a réellement été l’évènement déclencheur de cette crise. Des impacts importants se sont évidemment produits à d’autres époques (fin du Permien, fin du Trias, Dévonien...) mais leur importance vis-à-vis de la survenue des différentes crises paraît moins évidente.
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Le volcanisme
L’implication d’un volcanisme massif dans la survenue d’une crise est aussi une hypothèse très probable. Ce type de volcanisme, responsable de l’émission de quantité phénoménale de lave et de gaz, n’existe pas actuellement. Par exemple, 14 km3 de lave ont été émis lors de l’éruption récente la plus importante (Laki, Islande, 1783-84), ce qui est déjà une quantité qui paraît très importante. Les éruptions massives impliquées dans les extinctions auraient quant à elles provoqué l’émission de plusieurs centaines voire milliers de km3 de lave (Courtillot, 1999).
On retrouve à la fin du Crétacé la trace de telles éruptions, ce sont les Trapps du Deccan, situées en Inde. La fin du Permien aussi a été marquée par de gigantesques éruptions (Trapps de Sibérie).
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Les changements de niveau marin
Au cours des temps géologiques, le niveau de la mer n’est pas resté constant, on observe des variations dites eustatiques, avec des périodes caractérisées par une baisse de niveau (périodes de régression) et d’autres par une montée (les transgressions). Ces changements de niveau peuvent affecter la biodiversité. Par exemple une régression entraîne une limitation des zones de faible profondeur particulièrement favorables à la vie. Par ailleurs, une montée rapide du niveau marin a aussi été observée pendant certaines périodes d’extinction (ex : fin du Permien, Dévonien, fin du Crétacé) : ces transgressions ont pu entraîner l’appauvrissement des eaux en oxygène.
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Les périodes d'anoxie marine
Les océans modernes sont relativement bien oxygénés, ce qui est dû à un bon brassage des eaux, mais à certaines périodes une anoxie s’est développée au fond des océans (ces évènements ont été appelés les évènements d’anoxie océanique ou ‘Oceanic Anoxic Event’ selon Schlanger et Jenkyns en 1976). La plupart des périodes d’extinction sont associées à des évènements d’anoxie, eux-mêmes liés à des transgressions.
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Les changements climatiques (réchauffement ou refroidissement global)
Des changements climatiques importants ont également été observés pendant certaines périodes d’extinction. Ils peuvent être reliés aux éruptions volcaniques.
Pour terminer, les causes qui ont entraîné la survenue des crises biologiques sont multiples, difficiles à déterminer précisément et parfois liées entre elles :
Différentes causes terrestres possibles pour les principales crises biologiques (Taylor, 2004).
Les crises biologiques peuvent-elles présenter un intérêt en termes d’évolution ?
L’Histoire de la Vie est jalonnée de nombreuses extinctions, depuis la disparition d’une espèce isolée jusqu’aux plus grandes extinctions de masse.
Mais la période suivant une extinction se caractérise toujours par une explosion de vie marquée par la reconquête de tous les milieux affectés lors de la crise (voir Taylor, 2004).
L’exemple le plus marquant est celui de la crise Crétacé / Tertiaire (ou crise K/T). Alors que les Dinosaures et les Mammifères sont apparus plus ou moins au même moment sur la Terre, pendant le Trias (il y a 225 Ma), les Dinosaures ont dominé pendant plus de 120 millions d’années, tandis que les Mammifères sont restés des organismes de petites tailles, qui vivaient cachés à l’ombre des grands reptiles. Les Dinosaures ont ensuite disparu lors de la crise K/T, en même temps que de nombreux autres organismes sur terre et dans les océans, il y a environ 66 Ma. Par la suite, pendant les 10 ou 15 millions d’années qui ont suivi, au cours du Cénozoïque, les Mammifères se sont extraordinairement diversifiés, occupant de nombreux habitats à la fois sur terre, dans les airs et dans les océans. Cet exemple est loin d’être isolé, et chaque période d’extinction est suivie par une récupération ‘rapide’ de la biodiversité, à tel point que celle-ci sera au final plus riche après la crise qu’avant (voir la figure ci-dessus).
Références :
- Alvarez L. W., Alvarez W., Asaro F. & Michel H. V., 1980 - Extraterrestrial cause for the Cretaceous-Tertiary extinction: experimental results and theoretical interpretation. Science 208, p. 1095-1108.
- Benton M. J., 1986 - The evolutionary significance of mass extinction. Trends in Ecology and Evolution, 1, p. 127-130.
- Benton M.J., 2001 - Biodiversity through time. In : D.E.G. Briggs and P.R. Crowther (Eds), Palaeobiology II. Oxford : Blackwell, p. 212-220.
- Benton M. J., 2003 - When Life Nearly Died. The Greatest Mass extinction of All Time. London: Thames & Hudson, 336 p.
- Benton M.J. & Harper D.A.T., 2009 - Introduction to Paleobiology and the Fossil Record. Wiley-Blackwell, 592 p.
- Courtillot V., 1999 - Evolutionary Catastrophes: The Science of Mass Extinction. Cambridge: Cambridge University Press, 173 p.
- Jablonski D., 1995 - Extinctions in the fossil record. In : J.H. Lawton and R.M. May (Eds), Extinction Rates. Oxford : Oxford University Press, p. 25-44.
- Raup D. M. & Sepkoski J. J., Jr, 1982 - Mass extinctions in the marine fossil record. Science 215, p. 1501-1503.
- Raup D. M. & Sepkoski J. J., Jr, 1984 - Periodicity of extinctions in the geologic past. Proceeding of the National Academy of Sciences 81, p. 801-805.
- Schlanger S. O. & Jenkyns H. C., 1976 - Cretaceous oceanic anoxic events: causes and consequences. Geologie en Mijnbouw 55, p. 179-184.
- Sepkoski J.J. Jr., 1986 - Phanerozoic overview of mass extinction. In: Raup, D.M. and Jablonski, D. (eds.), Patterns and Processes in the History of Life. p. 277-295. Springer, Berlin Heidelberg New York.
- Taylor P., 2004 - Extinctions in the History of Life, Cambridge University Press, 191 p.
- Page intitulée ‘Biodiversité & Crises’ sur le site du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris en France : http://geologie.mnhn.fr/biodiversite-crises/index.htm
(page publiée en juin 2020)
Date de dernière mise à jour : 06/07/2021